Background Image
Previous Page  13 / 58 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 13 / 58 Next Page
Page Background

13

ROGER MURARO

... Cette

Sonate

peut se « décliner » à volonté, selon l’inspiration, le

caractère, l’humeur de l’interprète… Elle peut suivre l’instant, le

sentiment, ou se tenir debout, noble ! Toutes différentes, elles restent

pourtant toutes La

Sonate

de Liszt.

J’aime à rappeler la dédicace à Robert Schumann dont Liszt orna la page de titre de

sa partition, et je n’y vois pas qu’un simple remerciement à l’auteur de la

Fantaisie

op. 17

pour sa dédicace, j’y perçois plutôt un symbole : deux œuvres de génie,

chacune dédiée à un auteur de génie, avec l’admiration réciproque et comme une

identification à l’œuvre qui lui est destinée.

La structure de la

Sonate

m’était bien entendu familière, je l’avais analysée… Mais

sa vraie dimension m’échappait lorsque je l’ai jouée pour la première fois : j’avais

vingt-deux ans. Sa forme se diluait dans les élans que ma jeunesse y mettait… Ces

thèmes présentés puis repris dans un autre tempo, ses caractères si contrastés

m’y invitaient d’évidence. La

Sonate

de Liszt, ce personnage à part entière, cette

sentinelle du piano romantique, ne pouvait que chahuter le jeune pianiste que

j’étais alors, tant l’œuvre foisonne de sentiments complexes violemment opposés,

entiers puis soudain fugitifs.

La

Sonate en si mineur

peut-elle finalement tout supporter comme je l’ai évoqué plus

haut ? Je ne sais pas... Mais dans ma jeunesse elle avait, en mon cœur, une raison

d’être différente de celle qui me la rend essentielle aujourd’hui. Peut-être faut-il y

lire l’expression du mot « romantisme » qu’avait si bien anticipé la littérature : le

soufre de Byron, les engagements révolutionnaires de Victor Hugo, les rêves de

Lamartine, Novalis, Hölderlin ! Schiller et Goethe dont la

Sonate

reflète si justement

l’esprit faustien. Ces auteurs ont nourri la pensée lisztienne, comme ses amours,

objets de scandales à l’époque, avec des femmes érudites, Marie d’Agoult, Carolyne

zu Sayn-Wittgenstein.