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Vienne, en 1791, héberge les génies de l’Europe et la ville fiévreuse
nourrit le classicisme déjà mourant.
Il y a le Théâtre et l’Opéra qui accueillent la cour, mais aussi la musique de chambre,
réfugiée dans les salons des princes, puis la musique symphonique, apparue
timidement, comme un écho des orchestres enviés de Paris et de Mannheim. Mais,
Vienne, à la fin du XVIII
e
siècle, c’est plus encore. La crise passée du
Sturm und Drang
des années 1770-1775, la capitale subit le malaise politique et la résonance d’une
révolution parisienne redoutée. La bourgeoisie naissante ne s’accorde plus des
régimes immuables.
Le mythe du héros est sur le point de naître. Seul contre tous, il succède aux
monarques. L’une de ses armes préférées devient le pianoforte, qui se substitue au
clavecin. Pianoforte et clavecin n’appartiennent pas à lamême raison philosophique.
Sous les doigts deHaydn et deMozart, le nouveau clavier apostrophe le public. Grâce
aux facteurs - les Graf, Stein, Silbermann, et bientôt Broadwood, Pleyel et Erard -
qui prêtent et offrent parfois leurs instruments, l’espace et la puissance du piano
gagnent de nouvelles salles, toujours plus vastes.
Les concertos, sonates, variations en tous genres ne distraient alors plus. Les joutes
musicales - dont celle légendaire qui oppose devant l’Empereur, Mozart et Clementi
à la fin de l’année 1781 - explorent de nouvelles harmonies, révèlent des confidences
toujours plus audacieuses.
À Vienne, Mozart découvre les fugues de Bach - « Enfin, j’apprends quelque
chose » se serait-il exclamé - mais revendique aussi une liberté et une
expression nouvelles.
L’
Empfindsamkeit
, cette sensibilité qui se pare encore du style galant, met l’artiste à
nu. Au fil des partitions, les formules traditionnelles s’étiolent. Et puisque les notes
peuvent enfin être tenues, que les mélodies chantent, débarrassées de la basse
d’Alberti, lemusicien viennois explore un discoursmusical plus fluide et aventureux.
MOZART / BEETHOVEN / SCHUBERT