Comment atteindre un tel raffinement et jouer avec si grande simplicité ? Comment déjouer les pièges de l’épaisseur facile et de la froideur distante ? Et ne pas perdre, dans une solennité sans lourdeur, Mozart au profit de Beethoven ou de Schubert ?
La réponse est sous les doigts du Maestro. Évidente. Parce que, tout d’abord, il connaît les opéras du compositeur et possède l’intimité de ses voix au bout des doigts. En effet, dès les premières mesures de la Fantaisie en ut mineur, il nous présente les personnages auxquels il est impossible de résister. Aldo Ciccolini devient acteur, chanteur et metteur en scène. Ensuite, parce qu’avec son piano Carl Bechstein admirablement typé, au brillant doré et si bien réglé, il occupe tout l’espace de la scène. Il organise les dialogues avec un sens inouï de la projection sonore. Rares sont les artistes qui obtiennent cette jubilation du toucher avec des moments de grâce et de silence, qui succèdent à un éclat de passion. Lorsque la légèreté s’abandonne au drame, lorsque les sentiments se mêlent avec une telle force, cela nous conduit aux dernières minutes de la Fantaisie, portées par une urgence solaire.
Les deux sonates sont fort bien choisies pour la violence de leurs contrastes (toutes deux en majeur) et leurs possibilités expressives. Celle en ut possède l’épaisseur d’une page concertante et, celle en fa, le sens inné de la révérence amoureuse (adagio). Ici encore, le jeu est “instinctivement” mozartien et plus encore offert dans un confort d’écoute qui surclasse les témoignages antérieurs de l’interprète.
Et Clementi ? Bien différemment d’Horowitz, sans la démesure de l’ego, Aldo Ciccolini associe la structure beethovénienne de la sonate à la fantaisie méditerranéenne (ce sont à nouveau les échos de l’opéra dans Un poco adagio !). Il anime les expressions les plus diverses, provoque des résonances volubiles et fait jaillir de cette musique, l’exubérance d’une improvisation de jeunesse.