Quel sens attribuer au programme du CD « Un Monde en soi » ? Les musiciens n’ont choisi ni Beethoven ni Brahms, mais César Franck – dans la transcription de sa sonate pour violon et piano – et Eugène Ysaÿe, dans sa sonate pour violoncelle solo. Et ils y ont ajouté Fauré, Saint-Saëns, Duparc dans des transcriptions de mélodies célèbres (tout étant relatif, à l’aune du monde classique), telles « Après un rêve » ou « L’invitation au voyage ».
Camille s’en explique : « Autour des deux sonates, nous avons disposé des pièces courtes et magnifiques appartenant au romantisme français, un romantisme plus ‘objectif’ que le romantisme allemand, mais aussi plus sensuel, où les apparences légères n’excluent pas la profondeur. Ces pièces ont toutes un lien avec la poésie et la littérature (on songe à la Sonate de Vinteuil, de Proust), elles sont nos petites madeleines, elles établissent un rapport entre la musique et le temps. Nous avons travaillé les nuances, les couleurs – ce sont elles qui portent l’émotion… – mais sans surjouer, dans la simplicité. On pourrait considérer que les sonates de Franck et d’Ysaÿe sont deux pierres précieuses, entourées de petits diamants (certains somptueux quand même…). »
Ils se sont rencontrés dans un train, fin 2012, entre Londres et Prussia Cove : « Nous nous rendions au même festival, mais pour des concerts différents et nous ne nous connaissions que de loin. Je vois arriver une boîte à pattes, c’était Camille, avec son violoncelle sur le dos. Le hasard des réservations nous avait placés côte à côte, la tuile… Nous étions condamnés à nous taper la discute et la route était longue. En fait, nous nous sommes amusés comme des fous ! »
A partir de là, Camille Thomas, violoncelliste franco-belge révélée en 2014 par les Victoires de la Musique et nommée New Talent of the Year par l’UER la même année, et Julien Libeer, pianiste belgo-belge – mais totalement international – comptant parmi les personnalités les plus douées de sa génération, ont multiplié les collaborations.
Nous les avons retrouvés par un samedi caniculaire, dans un resto de la place Jourdan, lui, sortant de sa douche (à en juger par ses cheveux mouillés), elle (tout aussi fraîche), d’un taxi, au retour de Paris, valise au bout du bras, violoncelle sur le dos, l’un et l’autre incroyablement joyeux, décontractés, pleins de projets…
Un an après leur rencontre, les deux artistes réalisèrent leur première tournée, en Flandre. « Dix concerts en huit jours, c’est possible moyennant une condition : qu’on puisse rigoler un peu (Julien). Plus sérieusement, il faut qu’il y ait un accord humain, comme dans un couple, mais le couple est ici musical. »