Manuel de Falla (1876-1946) a peu composé, et très peu pour le piano, alors même qu’il voulait d’abord être pianiste. Wilhem Latchoumia, dans un CD La dolce Volta, a voulu à la fois donner l’es- sentiel de l’œuvre pour piano, et un panorama de l’uni- vers musical de Falla. Cela commence par les Quatre Pièces espagnoles, où le compositeur prend la suite d’Al- beniz, et se termine par la Fantasia Baetica, pièce in- classable et chef-d’œuvre majeur de la musique espa- gnole, quoique peu connu.
Puis il y a les trois danses ex- traites du Tricorne et les ex- traits de l’Amour sorcier trans- crits pour piano par de Falla lui-même. Tout cela encadré par les Hommages à Debussy et à Dukas, autour du Chant des bateliers de la Volga.
L’interprétation de cette mu- sique doit éviter deux écueils : l’espagnolade à castagnettes, et
l’intellectualisme glacé qui veut l’éviter et faire de Falla un compositeur de « musique contemporaine ».
Wilhem Latchoumia les évite soigneusement, mais ce n’est rien dire de son interprétation.
Dès les premières notes de l’Aragonaise, on découvre sa faculté de planter le décor dans sa plus grande lar- geur, avec un toucher à la fois ferme et d’une grande douceur. Sans rien négliger de l’inspiration espagnole, sans négliger non plus ce que ce piano doit à Debussy. Et cela jusque dans la Fantasia Baetica, qu’il ne tire ni dans un sens ni dans l’autre, mais place dans son contexte historique (1919).
Ce concentré de musique andalouse, qui pourtant ne fait pas la moindre concession folklorisante, est une œu- vre âpre, brutale, faisant de la guitare l’instrument tel- lurique et orchestral qu’elle ne peut pas être. Pourtant il y a ici aussi de la musique française « impression- niste », et Latchoumia le montre admirablement, de même qu’entre deux éruptions il sait faire chanter son piano avec la plus grande douceur dans les éclaircies de cette terrible partition.
Ces qualités se retrouvent dans les pièces plus faciles extraites des œuvres scéniques: le chant espagnol su- blimé, présent dans sa substance, et l’héritage impres- sionniste des années parisiennes. Et bien sûr c’est de Falla tel qu’en lui-même, ainsi que le montre assez son Hommage à Debussy qui cite La soirée dans Grenade…
Wilhem Latchoumia est un pianiste « martiniquais » selon les uns, « lyonnais » selon les autres. En fait il est lyonnais de parents martiniquais. Mais c’est sans doute cette ascendance qui l’a porté vers la musique latino- américaine (comme Georges Rabol) puis vers de Falla. Quoi qu’il en soit nous avons ici du grand piano et du grand de Falla…