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DAVID GRIMAL ∙ LES DISSONANCES 9 Vous le disiez, Enescu fait partie de cette génération de compositeurs d’Europe centrale qui ont intégré les musiques traditionnelles de leur pays dans leur propre style. Comment cela se traduit-il chez lui ? Quand Bartók utilise la musique populaire dans ses œuvres, il en garde l’esprit malgré une écriture « simplifiée » qui ne cherche pas à transmettre l’intransmissible de la musique orale. Dans une musique de tradition orale, non- écrite, l’écriture sera forcément une simplification. L’écriture du rythme, la notation des ornements, de l’intonation non tempérée : c’est la fixation de phénomènes qui dans la musique traditionnelle sont éphémères et vivants et si difficiles à « écrire ». Enescu essaie avec des indications d’inflexions, de quarts de tons, de manières de glisser, de vibrer, parfois avec plusieurs indications par note, de montrer à l’interprète le chemin de l’authenticité de l’expression. J’ai le sentiment qu’il veut nous faire sentir l’odeur de la poussière du village, du soleil sur les blés, de la peau tannée du vieillard qui lui a chanté son histoire au bord du chemin. Ces deux compositeurs, bien que tous deux nés en terre roumaine, l’un au bord de la Hongrie, l’autre de la Moldavie, ont deux sensibilités bien différentes et n’ont sans doute pas fréquenté les mêmes villages. Nous avons une lecture « nationale » de ces musiques alors qu’en réalité elles couvrent d’autres territoires et ont une histoire qui obéit à d’autres logiques géographiques.

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