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12 Ce qui frappe tout autant dans l’œuvre de Schubert et qui concerne la Sonate en Ut majeur, c’est la notion d’inachèvement. Vous ne jouez pas la version complétée par Ernst Krenek. Comment « interprétez-vous » cet arrêt de l’écriture ? Chez Schubert, l’inachèvement n’est pas signe d’impuissance. Il est voulu car le compositeur a déjà dit l’essentiel, dévoilé la souffrance de l’instant. C’est ainsi que je conçois les octaves martelées de l’Andante qui laissent place à quelques éclaircies, à des souvenirs mêlés de l’enfance, d’une naïveté feinte jusqu’à ce que ces mêmes octaves envahissent tout l’espace sonore. La Sonate en Si bémol majeur est un aboutissement, l’achèvement d’une vie. Le célèbre lied Der Wanderer D.489/93 (dont le poème original porte parfois le titre Der Unglückliche , « Le Malheureux ») dans lequel Schubert puise une partie du matériau thématique, nous parle avec ses mots terribles, du paradis perdu : « Le pays où mes roses fleurissent, mes amis se promènent, mes morts se relèvent / Le soleil est si froid, je suis étranger partout ». Certains passages dans le premier mouvement de la sonate sont des sommets de toute la littérature musicale du XIX e siècle. Ce sont ces instants baignés d’une atmosphère immatérielle, lorsque le Wanderer accepte la mort avec calme, dans la modulation d’Ut majeur à la fin de son deuxième mouvement, l’Andante sostenuto. Le sentiment de l’immobilité, la sensation de l’éternité s’impose et je transpose ces phrases en images – vous connaissez ma passion pour le Septième Art ! – dans l’univers de Yasujirō Ozu et dans quelques plans du film Au hasard Balthazar de Robert Bresson. Ce long métrage m’apparaît comme le synopsis de la vie de Schubert. SCHUBERT ∙ SONATES POUR PIANO D.840 & D.960

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