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FLORIAN NOACK 15 Les Visions fugitives, op.22 sont vingt pièces brèves, elliptiques. « Elles tendent vers quelque chose qu’on aimerait qualifier d’essentiel. Mais cette assertivité me semblerait trahir l’une des grandes vérités de l’œuvre : qu’elle est un agglomérat de petits points d’interrogation. » S’y confronter, c’est interroger un autre aspect de la création artistique dont on pense parfois qu’elle est faite d’affirmations et d’opinions. Or, selon Florian Noack, la créationmusicale peut tout aussi facilement se caractériser par l’absence de point de vue. Si l’art contemporain a laissé une vaste place au nihil ou à la forme interrogative, les Visions fugitives en sont peut-être l’une des nombreuses préfigurations. Elles autorisent l’interprète à être passeur plutôt que porteur. Passeur d’impressions et d’incertitudes plutôt que porteur d’unmessage déterminé dont il aurait compris les tenants et les aboutissants et dont lamusique, qui naîtrait sous ses doigts, serait la synthèse. L’exercice permet au compositeur des libertés qui ne lui sont pas communes. Celui, par exemple, de n’être pas lui- même. « Parfois, l’influence de Poulenc est palpable. Parfois, on croirait entendre Ravel, quand l’émotion prend la forme d’une corde tellement tendue qu’elle pourrait rompre à chaque instant. » Ces constructions harmoniques délicates sont deminuscules cathédrales d’indicible. Elles rappellent cette interjection de Golaud, qui – voyant les yeux deMélisande – s’écrie « je suismoins loin des grands secrets de l’autre monde que du plus petit secret de ces yeux ».
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