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FLORIAN NOACK 13 Ce serait un raccourci coupable que de relier automatiquement l’exil américain de Prokofiev à la nostalgie très prégnante des Contes de la vieille grand-mère, op.31 . Et comme pour enfoncer les portes ouvertes, on a l’habitude de brandir cette phrase, prononcée par notre compositeur un jour de grand abattement : « Certains souvenirs se sont àmoitié effacés demamémoire, d’autres ne s’effaceront jamais ». L’image n’est pas loin de la babouchka claudiquant au milieu des poules, un fichu sur la tête, s’en remettant à saint Jean Chrysostome pour que la récolte soit abondante. C’est méconnaître la fascination tenace des Russes pour les contes, qui sont présents à tous les niveaux de la culture populaire et qui – loin de divertir les enfants – ambitionnent plutôt de les terrifier. Point de langueurs candides pour la patrie lointaine, mais des réminiscences douces-amères qui slaloment allègrement entre les Tableaux d’une exposition (l’ostinato ne se cache pas de loucher vers Bydlo ) et des ballerines miniatures qui traîneraient leurs chaussons dans des petits gestes en mineur. Cette apparente délicatesse, pourtant, n’est qu’un artifice, car il y a dans ces pièces comme une dureté, « une carriole s’avance dans la campagne. Sa roue, qui s’ébroue, est d’une pierre lourde. C’est ce cheminement implacable – le sentier écrasé – qu’on doit donner à entendre dans les Contes de la vieille grand-mère ». Comme si la nostalgie n’était pas le sentiment le plus contondant.

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