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13 JEAN-PHILIPPE COLLARD Pour continuer avec Chopin, que vous avez beaucoup servi, il y a en commun entre lui et Granados une sorte d’élévation du salon à l’universel, une élégance aristocratique, entre nonchalance et héroïsme, une couleur vocale aussi, proéminente ; et le goût pour la danse, bien sûr. Sans compter avec la sensualité et la puissance lyrique, éperdue par endroit. Comment l’interprète peut-il concilier toutes ces qualités sans se perdre dans une forêt d’intentions, au risque sinon d’en oublier la conduite du texte ? La parallèle avec Chopin est attirant puisque ces deux compositeurs ont pour point commun la recherche d’un lyrisme permanent. Cet absolu besoin de chanter qui préside ici à tous les contours de l’œuvre et qui entraine le jeu lorsqu’on y ajoute le rythme, les couleurs, la sensualité…, est en effet de nature à troubler le bon ordre de l’architecture du texte. Tant d’intentions émises, superposées en strates nécessitent, depuis le clavier, un pilotage attentionné. Le risque n’étant pas tant de perdre la maîtrise de l’exécution, mais plutôt d’utiliser l’extrême liberté de la conduite du texte à des fins d’adaptation de la partition à ses propres possibilités techniques. Granados le pianiste maîtrisait une capacité instrumentale d’une très rare et très complète technicité. Au moment de l’émission du son, on l’entend capable de donner, sur l’instant, mille inflexions, mille intentions dictées par l’air du temps, par les désirs de son âme. L’acte de l’interprète est bien, à cet instant, aussi celui du peintre !

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