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BEATRICE BERRUT 9 Il lève les yeux, dehors le ciel se dégage. Cette symphonie commencera par une marche funèbre et il lui semble que la journée se prête bien à cela, malgré cette fragile éclaircie. Exténué par le travail acharné qu’il a fourni depuis le petit matin, il s’étire, ankylosé, puis se lève et fait quelques pas dans la pièce. Quel calme, pense-t-il, et quel contraste avec les nombreux conflits qui ont jalonné son année avec ses musiciens de la Hofoper ! « Ich bin der Welt abhanden gekommen », dit Rückert dans un de ses poèmes : « Je suis perdu pour le monde ». Il feuillette le livre négligemment posé sur le rebord de la fenêtre et sourit amèrement. C’est tout moi, soupire-t-il. L’avenir est en germe dans cette soirée où l’eau ruisselle de la canopée, et il le sent. Rückert a écrit ses Kindertotenlieder après la mort de ses deux plus jeunes enfants et lui, il compose ses marches funèbres et échafaude en sous-main sa mise en musique de certains de ces poèmes. Sa fille mourra dans les souffrances de la scarlatine : il ne le sait pas encore, mais sa musique le sait déjà. La petite Maria Anna n’est pas encore née et elle ne sera qu’une brève étincelle de vie ; la furtive lumière qui perce le ciel le préfigure.

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