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BEATRICE BERRUT 15 Deux êtres vont à travers le bosquet froid et dénudé. / La lune accompagne leur marche, ils la regardent. / La lune court au-dessus des grands chênes, / pas une nuée ne trouble la lumière du ciel / dans laquelle s’élancent les noires cimes. / La voix d’une femme dit : / «Je porte un enfant, et il n’est pas de toi, / je suis dans le péché en étant à tes côtés. / J’ai commis envers moi-même une faute grave. / Je ne croyais plus en un bonheur / et désirais ardemment un sens à ma vie, / les joies et les devoirs de la maternité ; / alors j’ai eu l’audace de me donner / en frissonnant à un étranger / et m’en suis de surcroît bénie. / Voilà qu’à présent la vie s’est vengée : / voilà qu’à présent c’est toi, ô toi, que j’ai rencontré.» / Elle marche à pas maladroits. / Elle dresse ses regards vers les cieux ; / La lune accompagne leur marche. / Son regard plein d’ombre est baigné de lumière. / La voix d’un homme dit : / « Que l’enfant que tu as conçu / ne soit pas un fardeau pour ton âme. / Ô vois de quelle clarté brille l’univers ! / Tout alentour une splendeur répand son éclat. / Tu flottes avec moi sur la froide mer / et pourtant une chaleur singulière passe en vibrant / de toi en moi, de moi en toi. / Elle transfigurera l’enfant étranger, / tu le mettras pour moi, par moi au monde ; / tu as fait pénétrer en moi la splendeur, / de moi tu as fait un enfant. » / Il enlace ses lourdes hanches, / leurs haleines se rejoignent dans un baiser. / Deux êtres vont à travers la sainte nuit baignée de clarté. Nuit transfigurée Richard Dehmel (* 18.11.1863, † 08.02.1920)
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