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14 MAHLER ∙ SCHOENBERG / JUGENDSTIL « Ô ma Mathilde, quand je lève les yeux vers Toi, je lève les yeux vers la Beauté ! C’est Toi que j’imagine marcher à mon bras dans la nuit chauve et sombre, c’est Toi qui portes en ton cœur une charge dont Tu as honte. Mais moi, qui T’aime par-dessus tout, je la porterai avec Toi pour t’en alléger. Car c’est vers une aube nouvelle que nous allons ensemble. » Ce qu’il n’ose pas encore lui dire, il l’écrit. Jour après jour, mû par la vision lancinante de sa taille souple, de ses mains blanches, de ses cheveux brillants qu’il rêverait voir tomber en cascade sur ses reins, il malaxe, pétrit les notes de son sextuor, les jette sur le papier par poignées comme du blé mûr, le ventre tiraillé par l’envie de pain tiède. Richard Dehmel, le poète, a exprimé si justement les choses dans sa Verklärte Nacht : l’amour est plus grand que les fantômes du passé ! L’Amour vrai pardonne, accepte, partage la douleur. Il est serein, car il sait qu’elle sera sienne, et il se repait de cette délicieuse et insoutenable attente, qui sublime sa musique et sa passion. Dans le crépuscule, il lui semble que les courbes de la Femme se mêlent aux ondulations des mélodies qu’il a composées durant la journée pour s’unir en un disque incandescent. Lorsque le soleil disparait à l’horizon, ils rentrent tous deux vers la petite maison de campagne, les joues brûlantes, ivres et presque honteux de l’étourdissant silence dans lequel ils ont regardé s’éteindre les feux de la Schwarza, et s’allumer ceux des astres.
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