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BEATRICE BERRUT 13 En proie à ses tourments, elle n’aperçoit pas tout de suite la silhouette de l’homme qui se rapproche d’elle à pas lents, les mains derrière le dos et l’air légèrement gêné. Il est trapu et il a le visage un peu fermé des gens qui sont intransigeants avec eux-mêmes, mais ses yeux sombres brillent d’un feu ardent lorsqu’il les pose sur elle. Ce que sa posture tente de cacher, son regard l’exprime, et son désir d’elle ondule autour de lui à son insu. Surprise, elle tourne la tête vers lui. Alexander, son frère, l’a invité à passer les vacances avec eux à Payerbach. Le jeune homme est un de ses élèves, un violoncelliste dont il avait fait la connaissance lors d’une répétition de l’ensemble Polyhymnia. Elle repense avec un vague sourire à ce qu’en avait dit son frère alors : qu'il n'avait pas de pré-dispositions particulières pour le violoncelle. Il est cependant de plus en plus évident qu’il est un compositeur plein d’avenir et d’audace. Elle-même l’a brièvement rencontré lors d’une des soirées de la Champagner-Gilde quelque temps auparavant. Même entouré de tout ce que Vienne compte d’artistes révolutionnaires, il ne semblait en rien déroger à son sérieux habituel. Elle a pourtant entendu Richard Specht dire que cet homme un peu étrange et discret était un des protagonistes les plus captivants, les plus problématiques, les plus troublants du jeune cercle viennois. En le voyant s’arrêter près d’elle, l’idée du feu sous la glace la traverse comme un éclair et elle frissonne. Il est silencieux, mais le léger vent qui caresse les champs mûrs alentour, le balancement des eaux à leurs pieds parlent pour lui.
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